RÉFLEXIONS SUR 2020 | REGARDS SUR 2021 — partie 2

Paysage d’outils, de matières terreuses et d’insectes — Papier 2 (crayon de bois, de plomb et de cire sur papier graphite, 2019-2021) par Maude Arès

Paysage d’outils, de matières terreuses et d’insectes Papier 2 (crayon de bois, de plomb et de cire sur papier graphite, 2019-2021) par Maude Arès

 

Résidence a souhaité prendre le pouls de l’écosystème de l’art contemporain alors que s’est achevée une année pour le moins particulière. Les personnes sondées ont été sélectionnées parce qu’elles représentent une pluralité de rôles, de points de vue, et parce qu’elles ont su nous inspirer par leur réponse à la pandémie, mais également par leur réponse aux divers enjeux que 2020 aura mis en relief.

Un dernier coup d’œil par derrière, pour mieux voir de quoi 2021 sera fait.

 

 

L’ÉQUIPE DU MUSÉE D’ART DE JOLIETTE

 
 

C’est en équipe interdépartementale que le Musée d’art de Joliette (MAJ) a choisi de prendre part à la réflexion. En mars 2020, le MAJ lançait la plateforme virtuelle Musée en quarantaine en réaction directe à la fermeture des lieux de diffusion artistique.

 
 
 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous?

Puisque la rétribution financière des artistes est souvent associée à la diffusion de leurs œuvres, la fermeture des espaces d’exposition et la suspension, l’annulation ou le report des activités de diffusion a frappé de plein fouet les artistes en art contemporain. Différentes stratégies ont été imaginées pour venir soutenir la création, mais ce qui est apparu d’emblée, c’est que la création, pour être pertinente, demande du temps et que les projets doivent mûrir, ce qui n’est pas toujours en adéquation avec le rythme imposé par les subventionneurs et les institutions. 

Au MAJ, nous avons misé sur la perméabilité de l’architecture du musée en invitant Eruoma Awashish à créer une murale visible de l’extérieur, donc accessible même si l’institution est fermée. Un projet extérieur de Philippe Allard, greffé au bâtiment, est une autre avenue que nous avons explorée pour déjouer les contraintes de l’inaccessibilité des salles. Le piège est peut-être de tenter à tout prix de transposer différemment ce que nous faisons habituellement. Nous croyons qu’il faut plutôt développer autre chose en acceptant que tout ne se traduise pas en une expérience dématérialisée satisfaisante, et que certains aspects de nos activités ne peuvent tout simplement pas être remplacés. 

S’il n’est plus aussi évident de faire l’expérience des œuvres ces jours-ci, il s’offre, en contrepartie, énormément de contenus discursifs stimulants: des artistes prennent la parole, des conservateur·trice·x·s parlent de leurs projets, etc. Discuter des œuvres n’est pas la même chose que d’en faire l’expérience, et il ne faudrait pas que la diffusion de contenus en ligne se traduise par une baisse de l’achalandage des lieux une fois qu’ils seront à nouveau ouverts au public, mais nous espérons que quelque chose restera de cet élan de partage et d’inclusion, une fois que se seront atténués les effets de la pandémie. Il sera important de miser dans le futur sur la qualité et la profondeur de l’offre davantage que sur la quantité, pour contrer la tendance au «remplissage». La rémunération des intervenant·e·x·s devra également être abordée et respectée, ce qui n’a pas toujours été le cas. Et le défi restera celui de l’accès: comment justifier que certaines activités en salle soient payantes alors que d’autres, en ligne, sont gratuites? Un équilibre sera ainsi à trouver si l’on souhaite maintenir ces deux volets, l’expérience physique et l’expérience en ligne, et les développer afin qu’ils se complètent.

Le milieu de l’art contemporain se caractérise aussi par le foisonnement de ses manifestations internationales d’envergure: les biennales se multiplient depuis de nombreuses années, on expose les artistes à travers le monde, les œuvres circulent entre les pays et les continents. La mondialisation de l’art nous donne accès, il est vrai, à une abondance de pratiques artistiques, mais simultanément, les mêmes grands noms sont souvent exposés, ce qui peut donner l’impression contraire d’un aplanissement de la diversité des propositions artistiques. Ce constat précède la pandémie, mais la fermeture des frontières à grande échelle, complexifiant les déplacements d’artistes et d’œuvres, l’a peut-être exacerbé, réactualisant une réflexion sur des principes qui devraient peut-être servir de moteur à nos programmations. 

Quelles initiatives avez-vous trouvées particulièrement porteuses en réponse à la pandémie, notamment pour pallier la fermeture des lieux culturels?

Plusieurs initiatives ont été porteuses et inspirantes pour nous en tant que professionnel·les du milieu des arts et en tant qu’humains en 2020. Nous en soulignerons deux: Les Encans de la quarantaine et Projet Casa. Tous deux ont servi à mettre de l’avant le travail d’artistes en temps de crise, à un moment où ils avaient le plus besoin de soutien et d’avenues concrètes de diffusion de leur art. Alors que Les Encans de la quarantaine se veut une plateforme de vente d’œuvres sans intermédiaire, Projet Casa est un espace où ont été présentées des expositions orphelines, puisque les lieux de diffusion qui devaient les accueillir étaient fermés au public. Le dynamisme et l’agilité des équipes qui ont piloté ces deux projets sont extraordinaires!

 
« La mondialisation de l’art nous donne accès, il est vrai, à une abondance de pratiques artistiques, mais simultanément, les mêmes grands noms sont souvent exposés, ce qui peut donner l’impression contraire d’un aplanissement de la diversité des propositions artistiques. »
— L'équipe du MAJ
 

Quelles sont vos réflexions sur le virage numérique qui s’est opéré au fil des derniers mois au sein d’une multitude de lieux de diffusion et d’événements en art contemporain? 

L’accent mis sur le numérique ne date pas de la pandémie; depuis plusieurs années déjà, une pression de la part des subventionneurs se fait sentir pour que soient lancées des initiatives axées sur le numérique. Là encore, la pandémie n’a pas amorcé le virage; elle l’a tout simplement accéléré en l’imposant à toutes les pratiques artistiques et à tous les lieux de diffusion. Si quelques artistes tirent bien leur épingle du jeu et voient se démultiplier les opportunités de visibilité de leur travail grâce à ce contexte très singulier où le numérique est la seule expérience possible, cela est nettement moins en la faveur de d’autres. Les œuvres d’installation dont la composante spatiale est importante, la performance qui exige un partage, la peinture et la sculpture dont la matérialité se perd à l’écran, sont toutes désavantagées face à la vidéo et à la photographie. Rien ne remplace la rencontre matérielle avec l’œuvre, même pour l’œuvre vidéo, dont les conditions de présentation ont un impact sur l’expérience qu’on en fait. Les rapports d’échelle entre le corps et l’œuvre se transposent difficilement au virtuel, les textures et les couleurs sont affectées, et l’exposition en tant que médium, en tant que format, qui permet l’articulation de conversations entre les œuvres à travers l’espace, perd de sa force lorsque les déplacements ne se font que par l’entremise d’un clic de souris. La visite de studio virtuelle ne permet quant à elle plus le même type d’échanges, puisque l’artiste choisit ce qui est partagé en contrôlant ce qui est donné à voir au cours de la rencontre virtuelle. Il sera intéressant de constater, au sortir de cette épreuve, si un retour aux œuvres plus matérielles se fera remarquer dans les lieux de diffusion, en réponse à une année passée en grande partie à consommer de l’art sur un écran d’ordinateur. 

Si les œuvres souffrent de la réduction du type d’expérience qu’on peut en faire, la place dédiée aux discours sur l’art et celle offerte directement aux artistes a, par contre, explosé grâce au contexte actuel: les conférences, les conversations et les tables rondes sont nombreuses et sont devenues accessibles gratuitement à un plus grand nombre de personnes situées un peu partout dans le monde. Cette démocratisation de l’accès aux recherches et à la pensée d’acteur·rice·x·s important·e·x·s est assurément un point positif du virage numérique à grande échelle. 

Qu’est-ce que l’art peut représenter en ces temps plus difficiles?

L’art que l’on reçoit ou que l’on crée peut constituer une occasion de prendre du recul pour voir le monde autrement et pour partager nos réflexions, notre regard sur ce monde. L’art nous ouvre à l’autre et à soi. L’art peut aussi devenir un contexte où faire naître une communauté. C’est ce que nous avons tenté, au MAJ, avec le projet Musée en quarantaine, lancé trois jours après la fermeture au Musée, soit le 19 mars 2020. Avec ce projet, nous invitons les citoyen·ne·x·s, encore aujourd’hui, à répondre à diverses thématiques en créant une œuvre à la maison, que nous exposons sur une plateforme en ligne. La qualité des créations que nous recevons depuis le début, tout comme les commentaires positifs des participant·e·x·s, nous fait croire que l’art et le partage font bon ménage et que ce dont nous avons le plus besoin présentement est peut-être de se sentir appartenir à une communauté, en particulier à une communauté qui cherche des réponses et qui utilise les moyens de l’art pour sonder le monde qui nous entoure. 

Quels sont vos projets pour 2021? 

Le Musée ayant dû fermer de nouveau ses portes en octobre 2020, deux semaines seulement après l’inauguration de ses nouvelles expositions, nous avons fait le choix de prolonger la période de programmation automnale, actuellement en quarantaine, afin qu’elle puisse avoir le public qu’elle mérite. Ainsi, dès que nous aurons l’autorisation de rouvrir, le public pourra découvrir la magnifique exposition de Joseph Tisiga, Somebody Nobody Was… (Quelqu'un que personne n’était…), et celle de Nicolas Fleming en dialogue avec la collection de bronzes historiques de Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté, Alfred Laliberté et Louis-Philippe Hébert généreusement offerte au MAJ par Monsieur A. K. Prakash. Ces expositions seront présentées jusqu’avant l’été. 

Partie2-1.jpg

QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021?
 

Janvier 2021, nous sommes encore en confinement, en télétravail. Ce moment nous semble tout indiqué pour approfondir notre regard sur les moyens à mettre en œuvre pour une plus grande inclusion dans les pratiques de nos institutions. Alors que les tables rondes virtuelles, les articles et les chartes sur le sujet pullulent sur le Web, nous souhaitons à l’écosystème des arts visuels de faire des pas de géant en matière d’inclusion en 2021.

 

 

KAREN TAM

Karen Tam est une artiste dont la recherche examine différentes formes de construction et de rencontres des cultures, avec un intérêt marqué pour les représentations de la Chine en Occident. Ses sculptures et installations engagent des réflexions sur la marchandisation, l’authenticité, l’appropriation culturelle et le racisme. 

 
 

What do you take away from 2020 in terms of its repercussions on the contemporary art world? Has it sparked any learning or reflection in you? 

2020 is a reset for everybody. I have reflected on producing and exhibiting work safely and within new constraints. I have never presented an installation without physically being present as so much of the process is responding to the space of the venue itself. I am reflecting on how to access resources, materials and create installations remotely. We are also having to rethink community. In 2020, the Chinese Canadian community faced challenges and racially motivated attacks on individuals and in community spaces. Some of my recent work responds to anti-Asian attacks which have surged this year but have happened throughout history. Ruinscape, a recent drawing series reflects on Chinatowns as spaces and centres of community, the challenges and threats they have faced in the context of the pandemic and over the decades — racial attacks, vandalism, expropriation of land, development, financial precarity, gentrification. 

What initiatives have you found particularly promising in response to the pandemic, particularly to offset the closure of cultural sites?

Online forms of presentations, whether talks, panels or discussions, allow greater accessibility for these events, including guests who might not otherwise be able to participate due to budget or distance. I am struck by collaborative artist relief initiatives by artists themselves or art workers such as the Artist Support Pledge started by Matthew Burrows in the UK, or the Encans de la quarantaine here. 

  

What do you think of the pressure on the contemporary art ecosystem to reinvent itself in 2020?

The pressure to reinvent insofar as the shift towards the virtual has forced institutions and organizations to think of ways to reach wider audiences, to produce and present work differently. I hope the resulting accessibility initiatives remain. This being said, besides reaching out to different audiences, there is also a need for organizations, galleries and artists to reflect on how to help their visitors, especially those less familiar with technology, navigate the virtual offerings.

 
« We are also having to rethink community. In 2020, the Chinese Canadian community faced challenges and racially motivated attacks on individuals and in community spaces. Some of my recent work responds to anti-Asian attacks which have surged this year but have happened throughout history. »
— Karen Tam
 
 
 

What are your projects for 2021? 

I have an upcoming solo show at Galerie Hugues Charbonneau opening on February 24 for which I chose the exciting title of New Works! I curated the exhibition Whose Chinatown?, recently opened in Vancouver and running until May alongside robust virtual programming. The show brings together art histories of Chinatowns by historical and contemporary Canadian artists. A few solo exhibitions that were postponed in 2020 will now take place this year alongside my second public art commission in Toronto. I also want to continue my deep dive into Chinese Canadian art history and bring to light some early Chinese Canadian artists. 

 
 
Partie2-6.jpg

WHAT DO YOU WISH FOR THE ECOSYSTEM IN 2021?

 

To take greater concrete steps to address the lack of diversity not just in the programming and presentation of artists, but in advocating for BIPOC artists and arts workers in the personnel and on the boards of directors. To make this a long-term action rather than just jumping on the bandwagon, which I think a number of organizations are guilty of doing.

 

 
 

JULIE LACROIX

Julie Lacroix est directrice générale de l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC), un organisme à but non lucratif qui regroupe des galeries à travers le Canada et qui œuvre à la reconnaissance et à la prospérité du marché de l’art contemporain au Canada.

 
 
 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous?

2020 a inévitablement suscité des apprentissages et des réflexions dans notre organisme. Nous avons dû repenser nos événements et projets, nous permettant ainsi d’avoir un point de vue différent sur des projets de longue date. Les nouvelles initiatives mises en place nous ont indéniablement appris beaucoup sur nos capacités d’adaptation et seront intégrées dans notre programmation régulière.

Quelles sont vos réflexions sur le virage numérique qui s’est opéré au fil des derniers mois au sein d’une multitude de lieux de diffusion et d’événements en art contemporain?

La pandémie a accentué le virage numérique entamé par le secteur depuis quelques années déjà. Des projets qui étaient au stade de la réflexion ou de la construction ont dû être accélérés ou présentés sous forme bêta pour nous permettre de faire rayonner l’art contemporain, malgré la fermeture des lieux d’exposition.

« On dit souvent que le milieu culturel est résilient. Le contexte de la pandémie nous l’a encore une fois démontré. »
— Julie Lacroix

Que pensez-vous de la pression mise sur l’écosystème de l’art contemporain pour se réinventer en 2020?

Ça n’a pas été simple! Ça nous a demandé une bonne cohésion d’équipe et une vision forte liée à notre mission. Par chance, les instances gouvernementales étaient présentes pour nous épauler et nous soutenir financièrement pendant cette période difficile. On dit souvent que le milieu culturel est résilient. Le contexte de la pandémie nous l’a encore une fois démontré.

Quels sont vos projets pour 2021?

Réaliser notre programmation courante, si possible! On aimerait bien organiser une foire Papier, à la fois physique et virtuelle, avec les acquis de l’édition précédente. En espérant que le contexte le permettra et que, si c’est le cas, les publics soient au rendez-vous.

Partie2-3.jpg

QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021?


Que les rassemblements soient de nouveau autorisés afin de permettre aux lieux de diffusion de rouvrir, aux festivals d’avoir lieu, aux artistes de montrer leurs œuvres devant public et ainsi stimuler une industrie qui souffre parfois plus que les autres, car jugée non essentielle à tort. Un milieu culturel fort et uni fera certainement une différence dans l’après-pandémie.


 

 
 

GUILLAUME ADJUTOR PROVOST

Guillaume Adjutor Provost est un artiste interdisciplinaire, chercheur et éducateur. Sa pratique artistique est motivée par un désir d’actualiser ce qui a longtemps existé en périphérie des discours historiques dominants: la conscience de classe, la contre-culture, l’imagerie vernaculaire et les expériences de la diversité sexuelle.

 
 
 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous?

Les conséquences de l’année 2020 se feront assurément sentir pour plusieurs années; certes pour l’ensemble de la culture, mais pour les arts visuels d’une manière particulière. D’aucuns auront relevé la quasi-absence de discours publics sur les impacts des mesures pour le réseau des centres d’artistes, pour les lieux de production ainsi que pour les artistes. N’oublions pas le manque de leadership de la ministre de la Culture, qui a raté une opportunité de défendre l’importance des arts, spécialement en temps de crise. Enfin, il est à se demander quelle association aura représenté au mieux les intérêts des artistes et l’amélioration de leurs conditions de travail. La réflexion que je partage avec nombre de mes collègues artistes est que notre champ d’activité est sous-représenté et victime d’une désolidarisation de ses divers acteur·trice·x·s. Vivement un réel front commun des artistes en arts visuels au sortir de cette crise. 

Quelles initiatives avez-vous trouvées particulièrement porteuses en réponse à la pandémie, notamment pour pallier la fermeture des lieux culturels?

Les présentations d’artiste, les conférences et tables rondes étaient bien adaptées pour être transposées en événements virtuels. J’en ai profité pour découvrir des pratiques artistiques ou commissariales qui m’étaient peu familières, mais également pour actualiser ma connaissance des pratiques de nombre de collègues. Ce sont des initiatives qu’il pourrait être utile de conserver après la pandémie. Ceci dit, j’ai aussi hâte au retour des rencontres du hasard et des discussions de vernissage.

 
« Si une redéfinition de la citoyenneté numérique est en marche, peut-être que les artistes devront être les gardien·ne·x·s de notre fragile rapport au monde et non pas les sirènes de cette transformation. »
— guillaume adjutor provost
 

Quelles sont vos réflexions sur le virage numérique qui s’est opéré au fil des derniers mois au sein d’une multitude de lieux de diffusion et d’événements en art contemporain?

Être technocritique est probablement la meilleure posture en réponse à ce virage numérique. Si on se réfère au célèbre énoncé de McLuhan: le médium, c’est le message. Et ce médium — qu’il soit un livre, une sculpture ou une application —, de par son mode de diffusion et de réception, influence davantage notre rapport au monde que son contenu. Ce serait vrai pour l’ensemble de la culture; les arts visuels se doivent de reconnaître que l’essor des médiums numériques a transformé durablement la capacité à entrer en contact avec des œuvres, alors qu’elles ne fonctionnent généralement pas sur un régime d’immédiateté. Il serait naïf de croire qu’un simple déplacement de support, de l’exposition physique à sa documentation virtuelle par exemple, ne modifie en rien la réception plurisensorielle des œuvres, ce que Hartmut Rosa nomme la résonance. En d’autres mots, la résonance émergerait de cette rencontre entre soi et le réel. Si une redéfinition de la citoyenneté numérique est en marche, peut-être que les artistes devront être les gardien·ne·x·s de notre fragile rapport au monde et non pas les sirènes de cette transformation.

Quelle est la beauté de 2020?

Être en amour. 

Avoir des discussions qui nous transforment. 

Quels sont vos projets pour 2021?

Les projets de 2021 sont les projets de 2020; comme je travaille principalement sur des œuvres expositionnelles, les installations prévues l’an dernier ont été reprogrammées pour cette année. Il y a l’exposition de groupe La machine qui enseignait des airs aux oiseaux, au Musée d’art contemporain de Montréal, ainsi que les expositions individuelles Belles eaux, à Occurrence (Montréal), puis Tourbe Chunky, à TRUCK Contemporary Art (Calgary). Ces projets sont en flottement, et leurs œuvres n’ont encore jamais été exposées à ce jour.

 
 
Partie2-2.jpg

QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021? 


Réfléchir aux relations de pouvoir et de domination est au cœur de la vitalité des arts. Mais une essentialisation des artistes s’est installée, puis accélérée avec l’omniprésence des réseaux sociaux, et on devrait s'en délester. Elle se traduit chez plusieurs par un sentiment de ne pas être à la hauteur des défis qui sont plus structurels qu’individuels. L’aspiration à des changements structurels ne peut peser uniquement sur des postures ou actions isolées. Nous avons besoin de coalition de pensées, de nous méfier des absolus.

 
 

 
 
 

EVE LALIBERTÉ

Eve Laliberté est une journaliste et éditrice indépendante spécialisée dans les arts et le design. Elle détient un baccalauréat en histoire de l’art et a notamment publié son travail dans les magazines Vie des Arts, BESIDE et anniversary. Eve fait aussi partie de l’équipe éditoriale de Résidence depuis la naissance de la plateforme.

 
 
 
 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous?

Je crois que le plus grand impact que 2020 aura eu sur moi, et plusieurs autres, est le changement radical que les circonstances ont engendré quant à notre relation au temps. Pour ne pas penser au drame qui touche encore l’écosystème culturel, j’aime me dire que 2020 aura au moins permis d’entamer de profondes réflexions en regard du rythme de travail et de production qui était, souvent, assez effréné.

La pandémie aura fait naître la conviction que notre milieu résistera, même sans l’urgence.

 

Quelles sont vos réflexions sur le virage numérique qui s’est opéré au fil des derniers mois au sein d’une multitude de lieux de diffusion et d’événements en art contemporain?

Je crois que pour certaines facettes de notre milieu, le virage numérique qui s’est effectué rapidement a eu des impacts positifs concrets et majeurs. Des projets tels que Les Encans de la quarantaine ou les Autorésidences d’AXENÉO7, pour ne nommer que ceux-là, ont réellement permis à plusieurs de garder la tête hors de l’eau.

Le virage numérique a également réaffirmé la nécessité d’avoir des espaces physiques où rencontrer l’art et la communauté en personne. Je crois que cela nous manque à tou·te·x·s !

 
« Je crois que de faire face à une grande vulnérabilité collective aura fait tomber certaines barrières qui persistaient entre les différents secteurs.  »
— Eve laliberté
 

Quelle est la beauté de 2020?

Tellement de gens se sont réunis à travers la distance, dans des initiatives porteuses. Je crois que de faire face à une grande vulnérabilité collective aura fait tomber certaines barrières qui persistaient entre les différents secteurs. 

Au-delà de la tragédie qui frappe notre domaine, je crois aussi que certaines des transformations obligées deviendront des forces lors du retour à la normale. Les remises en question suscitées par les longues heures vides de 2020 nous permettront de jeter les bases pour redéfinir notre milieu.

Quels sont vos projets pour 2021?

En plus de la redirection obligée de certaines de mes énergies dans des secteurs connexes à ceux des arts en 2020, la situation pandémique m’a amenée à quitter la ville et à retourner m’établir dans ma région natale des Laurentides.

Mes projets pour 2021 seront ancrés dans cette nouvelle réalité excentrée, à la fois professionnellement et géographiquement. Je souhaite utiliser cette année qui s’amorce dans la réflexion pour trouver des moyens alternatifs de mettre en valeur la culture en dehors des grands centres urbains.

 
 
Partie2-5.jpg

QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021? 


J’ai lu dans Le Devoir un article intitulé «Un travailleur de la culture sur quatre a perdu son emploi en 2020». Je souhaite que nous gardions espoir malgré les impacts durables qu’auront causés ces pertes d’emplois. Si plusieurs ont dû se réorienter vers des professions diverses, je souhaite que leur vision poétique et créative du monde subsiste dans celles-ci afin que les esprits artistiques puissent tout de même rayonner au quotidien.

 

 
 

À PROPOS DE

la série Paysage d’outils, de matières terreuses et d’insectes (crayon de bois, de plomb et de cire sur papier graphite, 2019-2021) par Maude Arès

 
 
 

Réalisée par la superposition de cinq papiers graphite, l'œuvre se déploie en trois temps: les traits dessinés laissent une empreinte sur les surfaces, de la couleur à des nuances de gris, qui s’atténuent de papier en papier. 

«Durant cette année incongrue qu’a amenée la pandémie, j’ai beaucoup réfléchi à la fabrication d’outils, à la communication des oiseaux, aux vibrations des insectes, aux courants d’air et d’eau et à la mobilité existante dans des réseaux complexes. L'œuvre s’inscrit dans cette réflexion, inspirée par les insectes: leurs métamorphoses, leur incroyable capacité d’adaptation ainsi que leur capacité à développer et à maintenir des réseaux complexes et équilibrés, leur expertise en cohabitations collectives et interespèces, et leurs formes de communication. Pour la création de l’œuvre, j’ai valorisé la fluidité, le toucher et la terre pour exprimer la résilience et la métamorphose: j’aime voir cette technique comme un fossile, comme différentes couches de terre, un endroit où l’on creuse et où l’on trouve des histoires semblables, mais changeantes par le temps qui gruge.»

Maude Arès est une artiste interdisciplinaire, diplômée de la maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal.