RÉFLEXIONS SUR 2020 | REGARDS SUR 2021 — partie 3

Paysage d’outils, de matières terreuses et d’insectes — Papier 4 (crayon de bois, de plomb et de cire sur papier graphite, 2019-2021) par Maude Arès

Paysage d’outils, de matières terreuses et d’insectes Papier 4 (crayon de bois, de plomb et de cire sur papier graphite, 2019-2021) par Maude Arès

 

Résidence a souhaité prendre le pouls de l’écosystème de l’art contemporain alors que s’est achevée une année pour le moins particulière. Les personnes sondées ont été sélectionnées parce qu’elles représentent une pluralité de rôles, de points de vue, et parce qu’elles ont su nous inspirer par leur réponse à la pandémie, mais également par leur réponse aux divers enjeux que 2020 aura mis en relief.

Un dernier coup d’œil par derrière, pour mieux voir de quoi 2021 sera fait.

 

 

FLORENCE-AGATHE
DUBÉ-MOREAU

Florence-Agathe Dubé-Moreau est autrice et commissaire indépendante. Ses plus récents projets d'exposition ont été montrés à Montréal, Québec et Toronto. Elle a instigué et, de juin à novembre 2020, assuré la direction artistique de Projet Casa, lieu de diffusion créé pendant la pandémie.

 
 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous? 

Je retiens la violence des mesures et discours de nos gouvernements à l’égard des arts et des sciences humaines, à l’égard des artistes et intellectuel·le·x·s ou personnes qui tentent de penser hors des structures prescrites de la production et de la profitabilité néo-libérales. Je retiens l’épuisement à se réinventer, avec encore moins de moyens et de possibilités qu’à l’habitude; à justifier l’essentiel de l’inessentiel; à sonder la «visibilité» des arts visuels en temps de crise sanitaire et économique.  

Mais je veux voir la résilience d’un milieu qui fait fleurir du sens même des situations les plus sombres. Je veux voir sa communauté lumineuse qui est solidaire et se place à l’avant-garde des grands chantiers de réflexion sociale. J’ai besoin de croire que nous apprendrons de cette année. Que nous ferons nos devoirs à l’interne de nos organisations et structures pour prendre mieux soin les un·e·x·s des autres et assainir nos modes de travail et de valorisation, que ce soit des angles des abus de pouvoir, de la sous-rémunération, de la parité et des inclusions ou de la durabilité environnementale. 

Quelles initiatives avez-vous trouvées particulièrement porteuses en réponse à la pandémie, notamment pour pallier la fermeture des lieux culturels?

J’ai été sincèrement ébahie par la quantité de nouveaux espaces qui sont nés au cœur de l’incertitude des derniers mois, et pour avoir piloté le lancement de Projet Casa, je salue bien bas leurs protagonistes. Je pense entre autres à Produit Rien, Brutale Space, Espace Transmission, Parc Offsite, Trilobite et le Pneu et Bruises Gallery

Je pense également aux espaces satellites des galeries privées Laroche/Joncas (La Shed), Nicolas Robert (Espace projets) et La Castiglione (chez Produit Rien) ainsi qu’à la flopée de viewing rooms qui a tout de même fait émerger de beaux corpus et dialogues, surtout dans le cas de sélections spécifiques pour le Web. Je félicite aussi des initiatives fédératrices entre plusieurs lieux comme Pictura, Boiling Point et les expositions En bonne compagnie, chez Bradley Ertaskiran, et Quarante, chez Blouin Division, qui visaient à réunir et à partager.

En lien avec l’espace Web, j’ai été impressionnée par la qualité des œuvres présentées au sein du projet QUADrature de la Galerie de l’UQAM et par le commissariat des expositions virtuelles L’Île déserte et The Loner’s Castle de la galerie Projet Pangée. À cela s’ajoutent les nombreuses plateformes de partage d’œuvres qui ont déferlé sur Facebook et Instagram pour donner de la visibilité, spécialement aux artistes émergent·e·x·s (dont les personnes qui graduaient en 2020), et pour (re)créer des communautés artistiques en ligne. À ce titre, il faut mentionner l’immense travail de l’équipe derrière Les Encans de la quarantaine.

 
« J’ai besoin de croire que nous apprendrons de cette année. Que nous ferons nos devoirs à l’interne de nos organisations et structures pour prendre mieux soin les un·e·x·s des autres et assainir nos modes de travail et de valorisation, que ce soit des angles des abus de pouvoir, de la sous-rémunération, de la parité et des inclusions ou de la durabilité environnementale.  »
— FLORENCE-AGATHE DUBÉ-MOREAU
 

Qu’est-ce que l’art peut représenter en ces temps plus difficiles?

Au cours des derniers mois, j’ai été surprise de redécouvrir la force des œuvres — la force de l’art tout court, j’imagine (même si ça sonne tellement quétaine, ha!). Cela s’est manifesté selon deux états. D’abord, à travers un sentiment de manque et de vide devant l’impossibilité de visiter des lieux ou des événements artistiques de manière à expérimenter «en vrai» des œuvres, autrement que par l’unique médiation de mes écrans. Ensuite, à travers un immense sentiment de gratitude envers les artistes et commissaires qui ont accepté de participer à Projet Casa et grâce auxquel·le·x·s j’ai pu avoir des contacts privilégiés avec leurs idées et propos. C’est comme si, au fil du rythme effréné de consommation/production si commun pour les travailleur·euse·x·s de la culture, j’avais oublié cette émotion face à certaines œuvres ou cette excitation lorsqu’on visite certaines expositions. 


Quel rôle les tribunes ou les médias spécialisés en art contemporain peuvent-ils jouer dans une réalité post-2020, plus particulièrement?

En fait, j’ai envie de parler des médias non spécialisés! Une des choses que la pandémie a contribué à mettre en lumière dans notre domaine me semble être le problème de représentation des arts visuels dans les médias à larges auditoires et même (!) dans les tribunes/revues dites culturelles. Il s’agit d’un enjeu large et complexe — et assez paradoxal pour un milieu qui repose sur la vie «publique» de ses productions —, mais n’en demeure pas moins que c’est un fait quantifiable. Cette situation favoriserait une invisibilité relative (et accentuée pour les professionnel·le·x·s à l’extérieur du privilège blanc et masculin) de notre secteur auprès de la société contemporaine. 

À mon sens, l’amorce de solution doit inclure notre implication, notre voix, sur ces grands médias. Une fois le problème identifié et les appels au changement lancés (avec budgets et protections nécessaires face au système en place), je crois intimement que nous devons construire cette présence en nos mots, avec nos bagages culturels et intellectuels. Plus qu’exiger cette légitime visibilité, j’aimerais qu’on puisse composer ce rayonnement. Des personnes comme Benjamin Allard, Aseman Sabet, Yann Pocreau, Nicolas Mavrikakis ouvrent la voie. 

Quels sont vos projets pour 2021? 

J’ai plusieurs projets d’écriture en cours. Parallèlement, je désire profiter du début 2021 pour réévaluer la place et le rôle que je veux occuper dans ma communauté. Je suis très reconnaissante du privilège que j’ai de pouvoir prendre ce moment de réflexion. Les postures de commissaire indépendante et de travailleuse culturelle à la pige — comme tant d’autres postures en art — se voient plus précarisées qu’elles ne l’étaient déjà sur la scène canadienne. J’ignore encore de quelles manières préserver mon statut «autonome» à la lumière des nouvelles réalités financières post-Covid en culture. 

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QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021?

Le retour à la normale ne me semble ni viable ni souhaitable. Je nous souhaite de ne pas voir 2020 comme une parenthèse, comme une pause. 2020 nous appartient aussi. Et nous en sommes autant responsables que de ce que nous ferons de 2021.

 

 

LEILA ZELLI

Leila Zelli crée des œuvres vidéo et des installations numériques qui génèrent des expériences visuelles et sonores amenant à méditer sur l’état du monde. Elle s’intéresse à des enjeux de religion, de guerre et de droit des femmes ainsi qu’aux implications géopolitiques de la dénomination «Moyen-Orient». 

 
 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous? 

Personnellement, du point de vue artistique, j’ai vécu une belle année malgré tout. J’ai compris l’importance de la flexibilité et de l’ouverture dans le rapport réflexion-production-partage. Je pense que les expositions virtuelles, malgré leurs limitations par rapport à l’expérience de l’œuvre, étaient très pertinentes pour donner la chance à l’art d’exister autrement; ce qui démontre justement que la souplesse intellectuelle et émotionnelle est un facteur fondamental de l’univers créatif.

 

Qu’est-ce que l’art peut représenter en ces temps plus difficiles?

Je crois que l’art est un lieu de rencontre où tout est possible. Il change notre rapport à la proximité, au temps et à l’inconnu. Je le vois comme une brèche, un rayon de soleil, mais aussi un lieu de prise de conscience. Là où l’imaginaire nous aide à tisser des liens et à libérer les émotions.

 
« Je crois que l’art est un lieu de rencontre où tout est possible. Il change notre rapport à la proximité, au temps et à l’inconnu. Je le vois comme une brèche, un rayon de soleil, mais aussi un lieu de prise de conscience.  »
— Leila Zelli
 

Quelle est la beauté de 2020?

C’était très touchant d’être témoin de la vague de solidarité mondiale; une compréhension, considération et empathie envers ce que l’autre vit nous ont rapproché·e·x·s en plus de permettre un éveil collectif et la recherche de façons de s’en sortir conjointement, malgré la distanciation.

 

Quels sont vos projets pour 2021? 

Je vais finaliser une animation intitulée About Dam & Hofit qui est une collaboration avec l’artiste israélienne Gali Blay, basée à Berlin. Ce projet est le fruit du confinement. Nous avons profité de chaque jour pour réfléchir ensemble à sa conception et à sa réalisation, d’une manière virtuelle, régulière et passionnée. Cette belle expérience m’encourage à réfléchir à d’autres projets collaboratifs. À voir!

 
 
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QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021?

Je souhaite que l’art contemporain et les figures déterminantes de ce milieu continuent à se réinventer afin d’ouvrir d’autres voies qui faciliteront les possibilités de créer, partager et vivre l’art sous toutes ses formes infinies. 

 

 

JEAN-MICHEL QUIRION

 

Jean-Michel Quirion est candidat au doctorat en muséologie de l’Université du Québec en Outaouais. Auteur et commissaire indépendant, il travaille actuellement à titre de directeur du centre d’artistes AXENÉO7, situé à Gatineau. En juin 2020, AXENÉO7 lançait Autorésidences, un programme de soutien à la création pour artistes et commissaires, mais à distance. 

 
 
 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous? 

En 2020, en dépit de la distanciation et de la migration substantielle des programmations artistiques vers le virtuel, j’ai l’impression que nous avons tout de même réussi à nous retrouver, à être ensemble. Nous avons démontré cette résilience que nous échangeons et partageons. Je retiens de la dernière année — traversée de révolutions sociales et de considérations touchant l’accessibilité, l’équité et la représentativité — cette nécessité de la proximité. Cette interaction essentielle entre nous, artistes, auteur·rice·x·s, commissaires, travailleur·euse·x·s culturel·le·x·s et autres intervenant·e·x·s du milieu, demeure possible, et ce, même en pleine crise pandémique.

Que pensez-vous de la pression mise sur l’écosystème de l’art contemporain pour se réinventer en 2020?

Cette pression exercée sur notre microécosystème n’est pas convenable et participe aux macro-impératifs du productivisme et du consumérisme. En 2020, je me suis entretenu sur cette question de la «réinvention» avec l’artiste John Boyle-Singfield lors de sa résidence à AXENÉO7. Ce dernier affirmait que la précarité du milieu artistique a été exacerbée par la pandémie. Effectivement, plutôt que de contrer l’instabilité financière et de pallier le manque de ressources, les instances gouvernementales ont demandé à maintes reprises aux artistes de se «réinventer». Quel euphémisme ! Notre milieu est en constante (r)évolution. «Se réinventer» est l’essence même de l’art. 

 
« Je retiens de la dernière année — traversée de révolutions sociales et de considérations touchant l’accessibilité, l’équité et la représentativité — cette nécessité de la proximité. Cette interaction essentielle entre nous, artistes, auteur·rice·x·s, commissaires, travailleur·euse·x·s culturel·le·x·s et autres intervenant·e·x·s du milieu, demeure possible, et ce, même en pleine crise pandémique. »
— Jean-Michel Quirion
 

L’année 2020 a-t-elle amené une nouvelle définition de l’accessibilité à l’art?

En 2021, l’accessibilité à l’art ne se définit plus uniquement par le virtuel et les possibilités que permettent les technologiques numériques grâce aux écrans. Plus que jamais, l’art est accessible à l’extérieur, à même nos espaces publics. L’art public offre une perspective d’ouverture en continu sur les réalités sociales d’aujourd’hui. 

Quels sont vos projets pour 2021? 

Depuis des mois, mes collègues du centre d’artistes AXENÉO7 et moi nous affairons à transposer l’hospitalité habituelle de notre lieu dans nos activités de diffusion et dans notre programme Autorésidences. Notre objectif, au cours de la prochaine année, est de continuer à soutenir le milieu artistique et, de surcroît, de contribuer à l’amélioration des conditions de production des artistes et à la diversification des modes de (re)présentation des arts actuels. Nous favoriserons progressivement des rencontres collaboratives et participatives pour remédier à cette crise de la présence. Évidemment, nous réfléchirons tout autant au virage virtuel et à la réalisation de contenus numériques. Nous prenons maintenant le temps de faire mieux; de réfléchir avant d’agir.

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QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021? 

Que nous prenions mieux conscience de nos privilèges et de nos positions pour contribuer à une société — et à un milieu artistique — plus égalitaire. Je souhaite plus d’équité et de diversité parmi nos programmations afin de contrer les injustices identitaires ainsi que des lieux de travail inclusifs à la démocratie participative, plus attentifs à nos sensibilités collectives et respectives. Nos institutions ont le devoir d’éviter toutes formes d’oppression et de systématisation. Nous devons poursuivre les processus de dénonciation pour enfin dérégler les engrenages des mécanismes d’exclusion.

 

 
 
 

EUNICE BÉLIDOR

Eunice Bélidor est une commissaire, critique et chercheuse, spécialisée en art contemporain haïtien et intéressée par la mode, la performance, les études post-black ainsi que le féminisme. Elle est la directrice de la Galerie FOFA, de l’Université Concordia, qui a lancé en janvier 2021 la plateforme CU at FOFA pour permettre la dissémination sur le Web de contenu commissarié durant la pandémie.  

 
 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous? 

J’ai compris que, pour beaucoup de personnes, l’art était un moyen d’observer les répercussions des mouvements sociaux mondiaux. Le mouvement Black Lives Matter et le décès de George Floyd ont éveillé les consciences; et pour plusieurs, c’était par le milieu de l’art que les changements devaient s’opérer. La pandémie a également démontré qu’on a besoin de l’art plus qu’on le croit. Dès que le gouvernement a fermé les musées, galeries et bibliothèques, on a constaté à quel point l’art est une échappatoire importante, mais aussi quelque chose qui décrit les enjeux contemporains d’une manière qui touche un très grand nombre de personnes, très variées. 

L’année 2020 m’a rendu anticapitaliste: le gouvernement maintenait ouverts les canaux qui nous faisaient consommer et dépenser de l’argent, mais fermait des lieux gratuits — comme les centres d’artistes par exemple — qui offrent gracieusement un divertissement. Je sens que l’anticapitalisme et l’anarchie que j’ai découverts en moi en 2020 peuvent s’exprimer par mes idées de commissariat aujourd’hui.

  

Quelles sont vos réflexions sur le virage numérique qui s’est opéré au fil des derniers mois au sein d’une multitude de lieux de diffusion et d’événements en art contemporain? 

Je ne pense pas que le milieu des arts visuels était prêt à faire ce virage numérique. Il y a eu peu de conversations sur le labeur, les tarifs, la conservation numérique. Comment peut-on ensuite forcer certaines pratiques à devenir numériques, même lorsqu’elles n’ont pas été conçues comme telles? Beaucoup d’artistes avec qui je devais collaborer ont tout simplement refusé d’aller en ligne, et je les comprends. J’ai toujours été au fait de l’aura du cube blanc d’une galerie et, au cours des derniers mois, j’ai constaté l’importance qu’il a pour les artistes et sur leur perception de la présentation et compréhension de leur travail. Par contre, certaines compagnies, notamment en danse, se sont démarquées par leurs efforts de migration en ligne. Ç'a fait un bien énorme de pouvoir se divertir autrement qu’avec le hockey à la télévision! L’art est extrêmement important dans nos vies: un divertissement, certes, mais aussi un exutoire, un canal d’apprentissage. L’art élargit notre perception des choses, suscite des questionnements. Il nous faut cela, on ne peut pas vivre sans.

 
« L’art est extrêmement important dans nos vies: un divertissement, certes, mais aussi un exutoire, un canal d’apprentissage.  »
— Eunice Bélidor
 

L’année 2020 a-t-elle amené une nouvelle définition de l’accessibilité à l’art? 

Oui, on a toujours cru que l’Internet rendait tout plus accessible à un plus vaste public, mais la pandémie a mis de l’avant les inégalités sociales qui réduisent l’accès à l’Internet; ce n’était donc plus une fin en soi. Lorsque les musées ont dû fermer, on a réalisé comment les institutions artistiques servent également de refuge à la population. Je crois qu’il faut ajouter des définitions à l’accessibilité à l’art. On passe de «l’art pour tou·te·x·s» à «l’art vers tou·te·x·s» et maintenant à «l’art de tou·te·x·s». En d’autres mots, il faut regarder des créateur·rice·x·s dont les enjeux diffèrent de ceux de la population traditionnelle. L’année 2020 a montré comment le monde change; l’art, qui exprime des enjeux de notre société contemporaine, se redéfinira perpétuellement. 

 

Quelle est la beauté de 2020

La résilience, les relations sans frontière, l’entraide, le rire, les chiens dans la ville, l’anarchie, l’amour.

 

Quels sont vos projets pour 2021? 

Avec la Galerie FOFA et dans ma pratique indépendante, j’ai développé un projet de mail curating (commissariat postal). L’objectif est de réfléchir à différents enjeux qui touchent le milieu artistique ainsi que de découvrir de jeunes artistes, et d’en découvrir davantage sur des artistes déjà établi·e·x·s, à travers une correspondance postale (via courriel dans le cas de la FOFA), de façon lente et plus personnelle. On s’exprime différemment dans un format épistolaire, et la lettre est un outil que j’utilise énormément pour connaître les gens et me connaître moi-même. J’écris à des artistes et des travailleuses culturelles. Je n’ai pas d’aboutissement en tête, car j’essaye aussi de m’éloigner d’un mode de vie capitaliste qui soit toujours tourné vers l’extraction et les résultats.

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QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021? 

Que le milieu de l’art n’attende pas de voir une personne mourir à la télévision ou sur son cellulaire pour prendre conscience des enjeux qui touchent certaines communautés; je souhaite également que tous les centres, galeries et musées puissent oser collaborer, se polliniser, s’épauler. Comment un grand musée peut-il aider un centre et ses membres et artistes? Les centres d’artistes et certaines galeries ont offert leur vitrine à de plus jeunes projets (comme Art Matters par exemple). Je trouve que ce sont de bons exemples et ce sont des choses comme celles-là que j’espérerais voir plus.

 

 

SAELAN TWERDY

Saelan Twerdy est auteur et collaborateur régulier à l’édition et à la rédaction de revues spécialisées, parmi lesquelles RACAR, Momus, Canadian Art et Esse. Ses écrits ont également été publiés auprès de plusieurs institutions artistiques, dont la Fonderie Darling, la Galerie FOFA, la Fogo Island Gallery ainsi que le Musée d’art contemporain de Toronto.  

 
 

What do you take away from 2020 in terms of its repercussions on the contemporary art world? Has it sparked any learning or reflection in you? 

At the beginning of 2020, I was continuing my coverage of the labour dispute, begun in October 2019, at Montreal’s Musée d’art contemporain (MAC) between curatorial staff, museum management, and the provincial treasury. I was also actively following the wave of labour organizing across North American museums, which had been touched off primarily by the successes of the nascent New Museum Union in NYC. Underpayment, precarity, toxic work environments, institutionalized white supremacy and sexism, and the dubious board composition and funding sources of museums were already facing scrutiny and protest before the global pandemic forced most large- and small-scale art institutions into temporary (or permanent) closure.  

Since then, I have felt much the same way as my Momus colleague Catherine Wagley, who wrote in October: “I have not missed visiting museums. Not at all. Largely because I, like so many others, have kept abreast of their increasingly blatant dysfunction alongside the dysfunction of the art industry at large across the past seven months.” As Wagley ably describes, COVID-19 layoffs were the perfect excuse for museums to smash the burgeoning movements for equitable working conditions among their staff, as rank-and-file museum workers — notably, many who were instrumental in driving unionization efforts — lost their jobs while upper management kept theirs, even as museums took massive bailout loans and government aid. London’s Tate Modern emerged as a notorious offender, as did NYC’s New Museum, though they were hardly the only ones. (For their part, the MAC workers in Montreal did win significant concession in their new collective agreement.) During the summer, the Art + Museum Transparency initiative tracked museum, layoffs on their Twitter account, and former New Museum staffer Dana Kopel penned an urgent and moving account of the art worker’s perspective on the museum’s internal disarray.

Other scandals within museums and art schools also seemed to proliferate during the pandemic, such as Nathalie Bondil’s acrimonious departure as director general and chief curator of the Montreal Museum of Fine Arts and the controversial ouster of NSCAD university president Aoife Mac Namara. In an overdue reckoning, abusive behaviour by male artists was called out online. The smell of rot was pervasive.

All this contributed the vigorous backlash when museums began issuing statements in solidarity with Black Lives Matter, virtually all of which rang hollow to the ears of their disenfranchised current and former staff. (Here in Montréal, articule published a timely letter calling on artist-run centres in Québec to go beyond statements of solidarity in tangible ways.) 

Personally, I have seen very little art since last March, almost none — certainly the most fallow period for art-viewing since I started writing art criticism around ten years ago. I am surprised by how little I miss it. Of course, I miss seeing other people (artists included), but does anyone really miss going to openings? Like many people, my feelings of disillusionment with the whole system of contemporary art have left me questioning the degree to which this sphere has absorbed my professional energy. In the summer, as part of Momus’s Emerging Critics Residency, I led a workshop on the topic of whether and how we could abolish contemporary art as we know it, though I felt (and still feel) conflicted about using the language of abolition, in this context, as white man who is neither an activist nor organizer. 

That said, as Hannah Black wrote in her Year-End Review for Artforum, the George Floyd uprisings “opened the doors of the world.” It is still possible to believe that an entirely different (art) world is possible. With many museums and galleries closed, we continue to wonder when circumstances will “return to normal,” but as with so many things, the pandemic has demonstrated how untenable the old normal really was.

What are your projects for 2021?

Unlike artists, musicians, writers, and other creative types, critics don’t have the liberty of practising their craft in isolation. In order to write, I need something to write about and a place to write for — thus far, my remarks here have neglected to mention 2020s fallout for art publications, many of which have lost their freelance budget along with most of their ad revenue. Canadian Art’s efforts to address institutional white supremacy deserve notice for their seriousness in spurring structural change at the management and staffing levels, though we’ll need more time to assess the long-term results there and elsewhere. 

This year was also marked, for me, by my decision to leave my PhD program and abandon my ambitions to work within academia. If and when cultural life resumes, I have two choices: start writing more, perhaps even full-time (something which I have never done), or write less, perhaps not at all, and seek a different vocation. I’ve had to consider that the most positive impact I could make might simply be to make space for other people. If and when I do continue writing, I hope to contribute something that does more than fill column inches. I believe it is a critic’s job not just to support the art they believe in (and the people who make it), but to create a context in which something they have not yet imagined can come into being and flourish.

 
« If and when I do continue writing, I hope to contribute something that does more than fill column inches. I believe it is a critic’s job not just to support the art they believe in (and the people who make it), but to create a context in which something they have not yet imagined can come into being and flourish. »
— Saelan Twerdy
 
 
 

What do you wish for the ecosystem in 2021?

Part of this was addressed by the previous question, but what I wish for in art is the same as what I wish for in society at large, and my desire suffers the same roadblocks: I want to see a total revolution in our whole mode of life. I want, effectively, Full Communism. Of course, the excitement and tragedy of recent years is that massive social change is occurring, though rarely in the direction that I would prefer, and the levers of power are almost entirely in the hands of our enemies. The failure of the democratic-socialist movements led by Bernie Sanders and Jeremy Corbyn in 2020 provided dispiriting evidence of just how violent the establishment opposition to even mild reform actually is. 

Like many, my faith in the power of electoral and parliamentary change is at an all-time low, though the power of the movement for Black lives and the achievements of mutual aid networks during the pandemic has reinforced my faith that local, grassroots organizing is the only thing that wins meaningful victories. Similarly, if we want to see a more equitable art system, we need to redouble our investment in organizing within established spaces and do a lot of hard internal work to make sure that artist-run initiatives don’t reproduce the same imbalances and toxic incentivization that structure the international, blue-chip museum and gallery sphere. 

I’ve returned a number of times to Elvia Wilk’s excellent article in The Baffler on how contemporary art’s reigning ethos of global, urban cosmopolitanism has, in many ways, stood in the way of solidarity with local political struggles and even comprehension of national political realities — a problem that has become more apparent as formerly jet-setting creatives find themselves sheltering in place. Institutions, for their part, have had to deal with an absence of the usual tourist audience (if they are open to any audience at all), spurring reflection on what obligations institutions have to their local constituencies and sharpening longstanding questions about who and what museums are actually for. I would love to see this discussion transcend the usual panel discussion pontificating and shake down to actual reforms.

My overall feeling, and one I’ve been going on about for a while, is that contemporary art is over, in the way that “modern” art was over by (approximately) the late sixties. I think that the whole edifice of contemporary art is a cultural project that is (or was) coterminous with the political order of neoliberal globalization, which is in shambles everywhere, despite worldwide attempts to prop it up by centrist elites — our own federal Liberals not least among them. Any attempts to bolster the existing formats and channels of contemporary art risk being equally grotesque. 

On the one hand, I believe artists today need an unprecedented revolutionary vision. On the other, I think that artists today are working in an exploitative cultural industry with neo-feudal conditions, kept afloat by unpaid and underpaid precarious labour and fed by a credentializing education mill that produces debt more than it produces artists — and all this machinery is heavily staffed by (and run for the benefit of) a small, affluent, and privileged elite. (To say nothing of the exclusionary function of a cultural industry increasingly beholden to corporate monopolies, as with streaming services for movies and TV and the heavily consolidated publishing industry.) 

Under these conditions, it is simply not reasonable to task cultural workers with inventing a new world or new forms. We need the world to change before art can, though it’s hard to know what, if anything, will survive the eventual throes of political and ecological catastrophe before us. I hope to one day wake up in a utopian society, but even in the worst-case scenario, I believe people will still be singing as they go down with the ship. Would anyone be happy to have a critic aboard? Perhaps merely as a witness.

 
 
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WHAT DO YOU WISH FOR THE ECOSYSTEM IN 2021?

 

We need the world to change before art can, though it’s hard to know what, if anything, will survive the eventual throes of political and ecological catastrophe before us. I hope to one day wake up in a utopian society, but even in the worst-case scenario, I believe people will still be singing as they go down with the ship. Would anyone be happy to have a critic aboard? Perhaps merely as a witness.


 

 
 

À PROPOS DE

la série Paysage d’outils, de matières terreuses et d’insectes (crayon de bois, de plomb et de cire sur papier graphite, 2019-2021) par Maude Arès

 
 
 

Réalisée par la superposition de cinq papiers graphite, l'œuvre se déploie en trois temps: les traits dessinés laissent une empreinte sur les surfaces, de la couleur à des nuances de gris, qui s’atténuent de papier en papier. 

«Durant cette année incongrue qu’a amenée la pandémie, j’ai beaucoup réfléchi à la fabrication d’outils, à la communication des oiseaux, aux vibrations des insectes, aux courants d’air et d’eau et à la mobilité existante dans des réseaux complexes. L'œuvre s’inscrit dans cette réflexion, inspirée par les insectes: leurs métamorphoses, leur incroyable capacité d’adaptation ainsi que leur capacité à développer et à maintenir des réseaux complexes et équilibrés, leur expertise en cohabitations collectives et interespèces, et leurs formes de communication. Pour la création de l’œuvre, j’ai valorisé la fluidité, le toucher et la terre pour exprimer la résilience et la métamorphose: j’aime voir cette technique comme un fossile, comme différentes couches de terre, un endroit où l’on creuse et où l’on trouve des histoires semblables, mais changeantes par le temps qui gruge.»

Maude Arès est une artiste interdisciplinaire, diplômée de la maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal.