RÉFLEXIONS SUR 2020 | REGARDS SUR 2021 — partie 1

Paysage d’outils, de matières terreuses et d’insectes — Papier 1 (crayon de bois, de plomb et de cire sur papier graphite, 2019-2021) par Maude Arès

Paysage d’outils, de matières terreuses et d’insectes Papier 1 (crayon de bois, de plomb et de cire sur papier graphite, 2019-2021) par Maude Arès

 

Résidence a souhaité prendre le pouls de l’écosystème de l’art contemporain alors que s’est achevée une année pour le moins particulière. Les personnes sondées ont été sélectionnées parce qu’elles représentent une pluralité de rôles, de points de vue, et parce qu’elles ont su nous inspirer par leur réponse à la pandémie, mais également par leur réponse aux divers enjeux que 2020 aura mis en relief.

Un dernier coup d’œil par derrière, pour mieux voir de quoi 2021 sera fait.

 

 

EDDY FIRMIN

 
 

Eddy Firmin est artiste-chercheur, conférencier et coordonne la publication de la revue décoloniale Minorit’Art. Il est artiste invité à l’École d'art de l'Université Laval pour la session d’hiver 2021 et y propose le cours Décoloniser la pratique.

 
 
 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous? 

Nous avons plutôt subi cette année qui se termine. La seule chose positive est qu’on a eu un moment de répit. Mais on a perdu beaucoup. De mon côté, j’ai eu de la chance: j’ai fait une exposition qui occupait tout le premier étage à Art Mûr en février, donc juste avant la pandémie. J’ai vu les deux côtés de celle-ci. Certains galeristes tirent leur épingle du jeu — ceux qui s’adaptent avec les nouvelles lois du marché, qui devient plus virtuel, qui étaient déjà très présents sur les médias sociaux et offraient la vente en ligne — alors que d’autres, qui avaient une approche plus traditionnelle, sont en train de fermer. Ce glissement vers le numérique a été accéléré.


L’année 2020 a été monopolisée par les répercussions liées à la pandémie sur le milieu des arts. Quels enjeux en art contemporain souhaiteriez-vous voir mis de l’avant en 2021? 

Les enjeux tournant autour des minorités, quelles qu’elles soient. Ça fait écho à l’affaire George Floyd, qui a suscité une forme d’éveil collectif. Nous étions tous derrière nos écrans à regarder, pendant huit minutes, quelqu’un mourir parce qu’il était noir, et il y a eu une prise de conscience: le système n’avait pas réglé certaines choses. On a aussi pris conscience qu’il fallait cesser de se faire la voix des minorités et les laisser parler pour elles-mêmes. Il y a d’ailleurs un fossé entre les générations et je souhaite au monde de ressembler davantage aux nouvelles, qui paraissent plus instruites et mieux préparées à affronter ces enjeux.

 
« Dans les cultures occidentales, on a séparé l’art de l’espace social, il est devenu une discipline à part entière: les arts. Mais dans beaucoup de cultures, il n’y a rien qui soit désigné comme «art», car l’art fait partie de chaque instant de nos vies. »
— Eddy Firmin
 

Qu’est-ce que l’art peut représenter en ces temps plus difficiles?

L’art est le premier contenant symbolique de la pensée humaine. La première fois qu’un homme a souhaité partager sa pensée, il a inventé le dessin. Alors en des temps difficiles, on en revient à ce contenant symbolique. Dans les cultures occidentales, on a séparé l’art de l’espace social, il est devenu une discipline à part entière: les arts. Mais dans beaucoup de cultures, il n’y a rien qui soit désigné comme «art», car l’art fait partie de chaque instant de nos vies. L’art, ça se retrouve en chacun de nous, ça transcende le «faire». Il n’y a rien de plus indispensable pour moi. 

Si on enlève l’art du quotidien pendant le confinement, le monde deviendra complètement ingérable. La place de l’art n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui, en temps de crise. L’art a permis de surmonter énormément de choses à travers différentes périodes de l’histoire. C’est un véhicule de résistance et un moyen de transcender la difficulté. Plus que jamais, le rôle crucial de l’art est mis en lumière: et alors qu’on veut notamment transcender ce confinement dans nos espaces, on s’en remet à celui-ci.


Quels sont vos projets pour 2021? 

Mon principal projet pour cette année est la mise sur pied de la première biennale d’art afrodescendant. C’est énormément de travail… Plus ça va, plus je réalise que c’est énorme — je me souhaite bonne chance! Il me reste 10 mois pour y arriver.

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QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021?
 

De maintenir un cap: celui de plus d’intégration, et d’avoir conscience que le travail pour l’équité est un processus constant. L’art contemporain était vu comme un milieu où tout le monde s’aime, mais on s’est aperçu que les minorités y étaient repoussées dans la marge. Aujourd’hui, on s’interroge sur leur place, ce qui signifie que toute la structure sociale, y compris l’art contemporain, réajuste ses valeurs d’équité. Les grandes déclarations ne suffisent plus, il faut des actes concrets. Et malgré les barrières, le monde commence à devenir plus poreux vis-à-vis de la diversité.

 

 
 
 

LOUISE DÉRY

 

Louise Déry est directrice de la Galerie de l’UQAM et professeure associée au département d’histoire de l’art de l’UQAM. Elle a agi comme commissaire de nombreuses expositions au Canada et à l’international, dont celle du pavillon du Canada à la Biennale de Venise (2007).

 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous?

De l’activité frénétique que nous connaissions dans le monde de l’art ces dernières années à la situation pandémique qui, à toute vitesse, est venue nous arrêter net dans notre élan, je retiens comme nécessité celle d’une proximité à chérir avec les artistes et avec les œuvres. Doucement, profondément, sans se laisser prescrire des motivations (politiques, économiques, stratégiques) qui ne sont pas celles de l’art comme espace de pensée.

Quelles sont vos réflexions sur le virage numérique qui s’est opéré au fil des derniers mois au sein d’une multitude de lieux de diffusion et d’événements en art contemporain?

Ce virage s’est avéré plus heureux que prévu, car les véritables «expositions virtuelles» qui déploient des concepts solides (pas des vitrines promotionnelles) ont été très recherchées. Elles peuvent apporter beaucoup aux artistes, soutenir leur diffusion et rejoindre des publics lointains. Le virtuel permet aussi des rapprochements documentaires impossibles à concrétiser autrement et le partage de beaucoup d’informations sur nos sites Web. Rien à voir avec la consommation fast-food des réseaux sociaux.

 
 
« De l’activité frénétique que nous connaissions dans le monde de l’art ces dernières années à la situation pandémique qui, à toute vitesse, est venue nous arrêter net dans notre élan, je retiens comme nécessité celle d’une proximité à chérir avec les artistes et avec les œuvres.  »
— LOUISE DÉRY
 

Quels sont les impacts d’un accès physique à l’art uniquement dans des lieux commerciaux, alors que les lieux culturels doivent demeurer fermés, mais que les galeries commerciales sont accessibles au public?

Cela cible et perpétue la préséance pour plusieurs de la valeur économique de l’art et non de ses autres composantes qui sont davantage symboliques, esthétiques, d’engagement. On ne s’en étonne pas, à voir la prolifération des fondations, des encans et de l’essor du marché virtuel. La pandémie est celle des classes pauvres et moyennes surtout, pas celle des gens fortunés.

Quels sont vos projets pour 2021?  

Améliorer, développer et tester des modes virtuels d’exposition pouvant être salutaires pour les milieux d’éducation privés de sortie; pour partager des savoirs avec notre communauté artistique; pour continuer de faire vibrer la présence des œuvres et des artistes dans l’imaginaire public; pour réfléchir aux avantages, mais aussi aux biais que peut causer cette nouvelle frénésie numérique.

 
 
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QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021? 

Que nous puissions, surtout pour les jeunes qui héritent de nos offenses nombreuses comme de nos offrandes les plus remarquables, conserver notre espoir envers les valeurs de l’art comme lieu de partage, comme source de connaissance et de questionnement, comme moyen de «réparer» notre pauvre humanité et notre planète à chaque instant, dans la liberté et le respect.

 

 
 

JADE BOIVIN

Jade Boivin est rédactrice en chef de Vie des Arts. À l’été 2020, la revue publiait son 259e numéro consacré au «moment de suspens» qui a caractérisé les derniers mois et à ses impacts sur la scène artistique.

 
 
 
 
 
 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous?

Avant la pandémie, on sentait un regain d’intérêt dans le milieu des arts, autant en pratique qu’en théorie, pour les questions entourant le care et l’hospitalité. Principalement parce que, depuis plusieurs années déjà — dans et hors les institutions —, l’art est envisagé dans son aspect collectif: les enjeux d’accessibilité, de représentativité, d’antiracisme et de décolonisation demeurent au cœur des fondements formels, esthétiques, médiatiques et structurels de l’art. On ressent peut-être simplement davantage l’urgence de consolider ce rôle fédérateur précisément dans la crise que nous traversons, parce que les besoins communautaires sont beaucoup plus grands. Chez Vie des Arts, cela a eu plusieurs effets: revenir à l’essentiel de notre mission, soutenir l’écriture sur l’art comme une forme de médiation et nourrir une curiosité pour les arts, tout en offrant une tribune publique à notre milieu pour rendre visible ses besoins.

 
« L’art est envisagé dans son aspect collectif: les enjeux d’accessibilité, de représentativité, d’antiracisme et de décolonisation demeurent au cœur des fondements formels, esthétiques, médiatiques et structurels de l’art.  »
— Jade Boivin
 

Quelles sont vos réflexions sur le virage numérique qui s’est opéré au fil des derniers mois au sein d’une multitude de lieux de diffusion et d’événements en art contemporain?

Je trouve qu’il y a une sorte de perméabilité qui s’opère sur le Web et sur les réseaux sociaux entre des contenus culturels, par exemple, et des contenus publicitaires qui résultent maintenant de stratégies très «commissariées». La navigation en ligne implique une consommation basée sur nos comportements et notre engagement, ce qu’exploite assez bien le marketing. Je doute des effets de cette structure sur l’écosystème artistique, comme on sait que ce modèle d’affaires ne bénéficie pas nécessairement à nos organismes locaux. Le support numérique ne convient pas non plus à tous les types d’œuvres et il évacue l’aspect «rituel» de l’expérience artistique, mais je reconnais que c’est aussi un outil de médiation qui peut s’avérer très efficace.


Que pensez-vous de la pression mise sur l’écosystème de l’art contemporain pour se réinventer en 2020?

C’est la preuve du peu de connaissances qu’on a de cet écosystème et de ce qu’il accomplit. Dans tous les cas, l’art est constamment en train de se réinventer, pandémie ou pas! Et si l’art se réinvente, il ne le fait pas en vase clos: nous nous réinventons en tant que collectivité, et l’art est un moyen que nous nous donnons pour y parvenir. Ça laisse aussi sous-entendre qu’on veut cristalliser la création pour répondre à des impératifs économiques, mais en se déresponsabilisant de son financement.

Quel rôle les tribunes ou les médias spécialisés en art visuel peuvent-ils jouer dans une réalité post-2020, plus particulièrement?

Les médias spécialisés en arts visuels constituent une niche féconde, et comme on assistera sans doute à beaucoup de transformations culturelles, ils peuvent aider le public à orienter son regard, à mieux s’y retrouver et à renouveler ses critères d’appréciation de l’art contemporain et actuel. L’effet est bénéfique autant pour nos scènes artistiques locales que pour les autrices, auteurs et commissaires qui ont l’occasion de raffiner leur pensée via l’écriture. Offrir un espace au développement d’une pensée artistique, c’est déjà un rôle clé post-2020.

Quels sont vos projets pour 2021? 

Je me concentrerai principalement sur Vie des Arts. C’est une grande année pour nous, car nous travaillons sur une refonte visuelle complète de la revue, que nous devrions présenter au cours de la première moitié de 2021. Notre image et notre grille graphique seront actualisées avec de nouveaux types de contenus qui seront dévoilés au courant de l’année. Nous travaillons aussi à animer notre site Internet, lancé au début du premier confinement, pour maintenir la couverture des arts visuels.

 
 
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QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021?


Je souhaite de la résilience, mais cela va de soi, alors je souhaiterais également de la bienveillance avec peut-être une certaine volonté d’un rythme plus lent, de célébration et d’autodérision face aux échecs qui surviendront nécessairement cette année.



 
 
 

MILES GREENBERG

Artiste et chercheur, la pratique de Miles Greenberg se situe aux confins de la performance et de la sculpture. S'articulant autour d'une exploration romancée du corps noir dans l'espace, son travail se déploie à travers des performances de durée, des formes sculpturales et des gestes.

 
 
 
 

What do you take away from 2020 in terms of its repercussions on the contemporary art world? Has it sparked any learning or reflection in you? 

It isn't quite art world-related, but I’ve learned immensely about the patterns my body follows when I'm not restricted to an appointment-based schedule. My sleep cycle, for instance. I’m a way better artist at 4 AM. I now know how to be more respectful of what my body naturally requires because it simply makes me better at my job.

I think many have become more acquainted with their own little idiosyncrasies which, hopefully, have aided them in becoming better at what they do, too. 

 
« Numerous people were (and are still) scrambling when they ought to just be listening. I’ll be the umpteenth person to confirm that no, online viewing rooms are not the answer. I’m excited to meet an art world that has a lot more to do with art. »
— Miles Greenberg
 

What do you think of the pressure on the contemporary art ecosystem to reinvent itself in 2020?

Numerous people were (and are still) scrambling when they ought to just be listening. I’ll be the umpteenth person to confirm that no, online viewing rooms are not the answer. I’m excited to meet an art world that has a lot more to do with art.

What can art represent in these more difficult times?

To me, as soon as art is involved, the word “difficult” becomes facile and inadequate. Art is too big, too complex, and too much in motion to ever let anything just be “difficult.”

I think that’s why it’ll save us.


What are your projects for 2021?

TBA — there will be some stuff in Canada!

 
 
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WHAT DO YOU WISH FOR THE ECOSYSTEM IN 2021?

It’s our responsibility, as workers in the artistic field, to do what art does: respond to the times.

Right now, maybe that means streamlining. I think we should question how much attention we ask of our audiences. We should hone our sense of necessity. We should be economical with the content that we choose to put out and have clear intentions behind what we are contributing, because we’re all inundated. I’m personally trying to get better at this right now.


 
 
 

AUDREY LABRIE

Audrey Labrie est directrice artistique de la Biennale nationale de sculpture contemporaine (BNSC), Trois-Rivières, et enseignante en histoire de l’art au Cégep de Trois-Rivières. La BNSC a tenu sa neuvième édition pendant l’été 2020 sous la thématique Croire

 
 
 
 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous?

L’année 2020 a bouleversé les institutions artistiques, petites ou grandes. Pour survivre et se démarquer, l’aspect social que peut revêtir un événement artistique attendu, comme une biennale, s’est révélé essentiel. Le succès de notre événement (NDLR: Malgré le fait que la BNSC a été amputée d’un mois par rapport à sa durée habituelle, les statistiques concernant l’achalandage sont demeurées les mêmes pour les visites en galerie et ont bondi de 500% pour la fréquentation des plateformes Web.) tient aussi à l’équipe, qui est renouvelée à chaque édition et est constituée de commissaires externes ainsi que de personnes qui sont consultantes ou contractuelles — en plus d’avoir l’appui de nos instances gouvernementales, de notre communauté, de nos élu·e·x·s et d’un public fidèle et grandissant. Le constat est irrévocable: la présentation de la recherche de pointe en art contemporain est un baume pour bien des maux de notre société actuelle.

Quelles sont vos réflexions sur le virage numérique qui s’est opéré au fil des derniers mois au sein d’une multitude de lieux de diffusion et d’événements en art contemporain?

Depuis le mois de mars 2020, le virage numérique a démontré qu’il n’est pas la solution à tous les événements et déploiements artistiques. Ses limites, selon les réflexions de l’équipe de la BNSC, se retrouvent dans la création et consolidation des liens sociaux ainsi que dans les aspects tactiles et matériels d’une visite d’exposition qui ne peuvent être pleinement vécus et satisfaits sur des plateformes virtuelles. Pour se démarquer dans le flot de l’information, il fallait absolument se former, se renouveler, repenser notre événement et cette transition a exigé du temps, de la collaboration, de la passion pour rejoindre différents publics sur différentes plateformes numériques.

 
« Cette pression de se réinventer est néfaste et inutile pour notre milieu, puisque les pratiques artistiques sont continuellement en transformation.  »
— Audrey Labrie
 

L’année en 2020 a été monopolisée par les répercussions liées à la pandémie sur le milieu des arts. Quels enjeux en art contemporain souhaiteriez-vous voir mis de l’avant en 2021?

L’enjeu humain est certainement ce qui retiendra l’attention pour 2021. Nous n’avons pas fini de constater les effets négatifs de cette pandémie sur l’aspect psychologique de notre milieu. Que se soit dans la pratique des artistes en atelier, à la maison ou dans les centres d’artistes autogérés, ainsi que dans les réalités des travailleur·euse·x·s de la culture qui tentent leur possible pour leur venir en aide, tout en réalisant leur travail «de base», il sera primordial de se serrer les coudes pour les mois à venir.

Qu’est-ce que l’art peut représenter en ces temps plus difficiles?

Le public de la neuvième édition de la BNSC a confirmé que voir et vivre l’art contemporain en galerie/musée est une expérience qui ne peut être remplacée par le Web. L’immersion physique dans un univers artistique bouleverse nos perceptions, nous trouble parfois et transforme le rythme du quotidien. Les propositions des artistes créent des imaginaires qui permettent de s’évader, confrontent ou confortent les présupposés de certaines réalités. En ce sens, la thématique Croire et les œuvres de la 9e BNSC ne pouvaient tomber plus à point dans cette situation difficile.

Que pensez-vous de la pression mise sur l’écosystème de l’art contemporain pour se réinventer en 2020?

Cette pression de se réinventer est néfaste et inutile pour notre milieu, puisque les pratiques artistiques sont continuellement en transformation. En fait, pour s’assurer de conserver les financements et les publics, certains organismes sont toujours en mode réflexion et créativité. L’expression «se réinventer», pendant une période si nébuleuse, ne fait que stresser les gens qui travaillent dans les organismes et qui font de leur mieux avec des moyens matériels ou financiers souvent limités. Les institutions qui pour diverses raisons n’évoluent pas ne sont-elles pas déjà pénalisées?

Quels sont vos projets pour 2021? 

À la BNSC nous nous concentrons sur l’élaboration de la prochaine thématique et le choix des artistes avec la nouvelle équipe commissariale de l’édition 2022. Soulignons au passage la dixième édition de la biennale sous sa forme actuelle et son quarantième anniversaire en tant qu’organisme culturel. Une campagne de financement et une table ronde figurent également parmi nos projets 2021, afin de réfléchir ensemble au thème qui sera proposé pour 2022. Aussi, mon rôle d’enseignante me permet de rester connectée avec les défis et enjeux en art contemporain tout en formant de jeunes artistes en devenir.

 
 
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QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021? 


Mon premier souhait se formulerait ainsi: faire moins, mais mieux. La pandémie aura révélé que le temps est une notion qui n’est pas encore maîtrisable par l’humain. Si les équipes de travail ne peuvent grandir infiniment, il faut miser notamment sur le potentiel des membres tout en s’entraidant et en prenant soin les un·e·x·s des autres. Mon deuxième souhait irait à l’endroit des gouvernements: l’éducation et la culture sont des sphères essentielles qui doivent être valorisées davantage et faire l’objet d’un maillage plus étroit.

 

 
 

ANAÏS CASTRO

Anaïs Castro est une autrice et une commissaire qui travaille entre Montréal, Toronto et New York. Elle a organisé des expositions et des projets au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse et en Chine. Elle est directrice et commissaire à Arsenal.  

 
 
 
 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous? 

2020 a été une année de défis et d’introspection. D’abord, la pandémie a forcé le milieu à ajuster ses activités en ligne. Ensuite, le mouvement Black Lives Matter a accéléré une réflexion quant à la diversité des voix dans nos programmations, mais aussi dans nos équipes. La dernière année m’a fait profondément apprécier des plaisirs pris pour acquis, comme voyager et socialiser. Elle m’a aussi fait prendre conscience de mon privilège et réfléchir aux gestes que ma position me permet de poser pour une société plus juste. 

 

Quelles initiatives avez-vous trouvées particulièrement porteuses en réponse à la pandémie, notamment pour pallier la fermeture des lieux culturels?

J’applaudis le Projet Casa, initié par Florence-Agathe Dubé-Moreau ainsi que la collectionneuse Danielle Lysaught et le collectionneur Paul Hamelin, qui a permis de présenter des expositions qui avaient été annulées par la pandémie. Je suis également heureuse d’apprendre que l’espace continue ses activités. Je trouve inspirant de voir des collectionneur·euse·x·s user de moyens alternatifs afin de soutenir le précaire milieu de l’art durant une crise comme celle-ci. J’espère que Projet Casa encouragera d’autres mécènes à mener de pareils projets.  

  

Quelles sont vos réflexions sur le virage numérique qui s’est opéré au fil des derniers mois au sein d’une multitude de lieux de diffusion et d’événements en art contemporain? 

Je reconnais l’importance et la pertinence de s’adapter à la réalité numérique d’aujourd’hui. Comme toute avancée technologique, celle-ci offre de multiples opportunités exaltantes. Ceci dit, je ne suis pas d’avis que nous devons nous efforcer de remplacer l’expérience de l’art en présentiel par une expérience virtuelle. J’encourage une réflexion quant aux possibilités inhérentes au virtuel et un développement des activités et des programmes qui exploitent les attributs de ces nouveaux outils. 

 
« En gardant les portes des musées fermées, on coupe aussi l’accès de la population aux vastes collections de nos institutions qui tracent le lien avec l’histoire de l’art.  »
— Anaïs Castro
 

Quels sont les impacts d’un accès physique à l’art uniquement dans des lieux commerciaux, alors que les lieux culturels doivent demeurer fermés, mais que les galeries commerciales sont accessibles au public? 

Bien entendu, c’est au désavantage d’un groupe d’artistes dont le travail est présenté dans des espaces de diffusion qui doivent présentement rester fermés. En gardant les portes des musées fermées, on coupe aussi l’accès de la population aux vastes collections de nos institutions qui tracent le lien avec l’histoire de l’art. Ceci dit, il est important de reconnaître l’apport des galeries qui permettent de continuer de soutenir la production d’artistes d’ici durant cette période difficile. 

Que pensez-vous de la pression mise sur l’écosystème de l’art contemporain pour se réinventer en 2020?

Le milieu de l’art contemporain était déjà précaire avant 2020. Les foires d’art, notamment, représentaient une pression financière insoutenable pour les galeries. Elles ont été suspendues et remplacées par des foires en ligne qui ont connu un succès relatif. Cela a amené des galeries à développer des programmes en ligne, de meilleurs outils de communication. Parfois, les moments difficiles apportent des changements nécessaires.

Quels sont vos projets pour 2021? 

Je débute l’année par une résidence au International Studio & Curatorial Program (ISCP) à Brooklyn durant laquelle je préparerai la deuxième itération de Trousse mystique. Avec Arsenal, je suis exaltée par l’exposition de Jen Aitken et de Caroline Monnet qui ouvrira bientôt à Toronto. Je suis aussi fébrile de révéler les détails de l’ambitieux projet de Miles Greenberg à Toronto. À New York, j’ai particulièrement hâte aux expositions individuelles de Geneviève Cadieux, au printemps, et de la jeune Bambou Gili, à l’automne.

 
 
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QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021?

 

Je souhaite voir une plus grande diversité dans la programmation de nos institutions et une plus grande diversité au sein de leurs administrations. Je souhaite aussi des milieux de travail sains où toute personne est reconnue et appréciée pour son travail et dans lesquels la violence psychologique n’est pas tolérée.


 

 
 

LAURENT VERNET

Laurent Vernet est auteur et chercheur en études urbaines ainsi que consultant en art public. Ses textes ont été publiés dans des catalogues d’exposition, ainsi que dans les revues Spirale, Ciel variable et Espace.

 
 
 
 

Que retenez-vous de 2020 quant à ses répercussions sur le milieu de l’art contemporain? A-t-elle suscité des apprentissages ou des réflexions chez vous? 

Je retiens que les interdictions de rassemblements et les obligations de fermer les lieux d’exposition ne peuvent venir à bout de la nécessité de dialoguer et de créer des ponts. Alors que la crise sanitaire a exacerbé les inégalités et les injustices, dans la société en général et au sein des institutions culturelles, plusieurs personnes du milieu se sont mobilisées, autour d’enjeux d’équité et d’inclusion notamment, ce qui est aussi nécessaire que salutaire. 

 

L’année 2020 a-t-elle amené une nouvelle définition de l’accessibilité à l’art?

Les espaces publics ont joué un rôle important dans notre quotidien en 2020. La crise aura permis de (re)découvrir des œuvres d’art public et des murales, qui ont continué d’être accessibles en tout temps, en profitant d’initiatives comme l’application MONA ou le nouveau balado d’Art public Montréal. L’art dans les espaces publics a fait l’objet d’un enthousiasme renouvelé qui, on l’espère, se poursuivra dans les prochaines années. 

 
« Je retiens que les interdictions de rassemblements et les obligations de fermer les lieux d’exposition ne peuvent venir à bout de la nécessité de dialoguer et de créer des ponts.  »
— Laurent Vernet
 

Quelles initiatives avez-vous trouvées particulièrement porteuses en réponse à la pandémie, notamment pour pallier la fermeture des lieux culturels?

En réaction à la crise, des initiatives ont soutenu la présentation temporaire d’œuvres dans des espaces extérieurs. À Montréal, il y a eu l’appel à projets pour les Voies actives sécuritaires de la Ville et le programme Quand l’art prend l’air du Conseil des arts. À Victoriaville, le Centre d’art Jacques-et-Michel-Auger a présenté le circuit Les étoiles polaires. Autant de moyens de développer l’intérêt des publics citoyens pour l’art contemporain, dont la pérennité serait à réfléchir. 

Quels sont vos projets pour 2021? 

J’entends continuer de réfléchir à la production et à la réception des œuvres d’art dans les espaces publics, pour envisager d’autres manières d’aller à la rencontre des citoyen·ne·x·s. Je souhaite valoriser la création d’espaces publics accessibles et inclusifs, autant dans mes recherches que dans les projets auxquels je contribue, en misant sur la diversité des artistes et de leurs pratiques.

 
 
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QUEL SOUHAIT FORMULEZ-VOUS À L’ENDROIT DE L’ÉCOSYSTÈME POUR 2021?

 

Je souhaite que l’on tire des leçons durables de 2020. Le déboulonnage de statues a fait l’objet d’une grande attention dans la sphère médiatique; la nouvelle année devrait donner lieu à la mise en place de chantiers de réflexion fédérateurs sur les enjeux de commémoration. L’intérêt pour ce qui est local devrait être constamment valorisé, tant dans les acquisitions que font les collections (publiques comme privées) que dans les événements artistiques que nous visitons.

 

 
 

À PROPOS DE

la série Paysage d’outils, de matières terreuses et d’insectes (crayon de bois, de plomb et de cire sur papier graphite, 2019-2021) par Maude Arès

 
 
 

Réalisée par la superposition de cinq papiers graphite, l'œuvre se déploie en trois temps: les traits dessinés laissent une empreinte sur les surfaces, de la couleur à des nuances de gris, qui s’atténuent de papier en papier. 

«Durant cette année incongrue qu’a amenée la pandémie, j’ai beaucoup réfléchi à la fabrication d’outils, à la communication des oiseaux, aux vibrations des insectes, aux courants d’air et d’eau et à la mobilité existante dans des réseaux complexes. L'œuvre s’inscrit dans cette réflexion, inspirée par les insectes: leurs métamorphoses, leur incroyable capacité d’adaptation ainsi que leur capacité à développer et à maintenir des réseaux complexes et équilibrés, leur expertise en cohabitations collectives et interespèces, et leurs formes de communication. Pour la création de l’œuvre, j’ai valorisé la fluidité, le toucher et la terre pour exprimer la résilience et la métamorphose: j’aime voir cette technique comme un fossile, comme différentes couches de terre, un endroit où l’on creuse et où l’on trouve des histoires semblables, mais changeantes par le temps qui gruge.»

Maude Arès est une artiste interdisciplinaire, diplômée de la maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal.