CLARA COUSINEAU
Entrevue Eve Laliberté Autoportrait et photos Clara et Alexis Cousineau
Clara Cousineau, artiste en résidence, explore de manière symbolique les rapports entre le corps et les objets de l’espace domestique. Son travail pluridisciplinaire est traversé de jeux formels, brouillant la perception du récepteur. Nous l’avons rencontrée à son atelier où elle insuffle poésie aux objets du quotidien — plongeon dans un univers aussi discursif que poétique.
EL: Vous unissez de manière surprenante des formes et des objets provenant à la fois du coffre à outils artistique et du quotidien, ne vous limitant pas à un médium précis. Comment êtes-vous arrivée à développer un tel langage à travers votre pratique?
CC: J’ai toujours été attirée par ce que les gens rejettent, ce qu’ils ne jugent plus utile. La plupart du temps, mes projets naissent d’objets trouvés qui m’inspirent un potentiel de transformation. Je trouve beaucoup de choses dans les rues et dans les ventes de seconde main.
EL: Votre série Slow Sculptures en est un excellent exemple, je pense, ayant été créée à partir de matériaux trouvés. Votre travail s’incarne-t-il davantage à travers la transformation que la construction?
CC: C’est une bonne question (Rires). Je me vois plus comme une transformatrice. Je n’en parle pas souvent, mais l’utilisation de matériaux trouvés provient aussi d’un souci écoresponsable. Dans la série Slow Sculptures, j’ai décidé de mettre l’accent sur cet aspect que je trouve important dans ma pratique.
Or Butt?, 2018, objets trouvés, peinture à la craie / L'entrejambe se situe au milieu du corps, 2018, objets trouvés, peinture à la craie
EL: Autant du point de vue plastique que conceptuel, vos œuvres ont un aspect plutôt synthétique, ordonné, voire cartésien. Est-ce que vous créez de manière méthodique ou le tout prend forme à l’issue d’un processus itératif?
CC: Mes idées me viennent de façon plutôt distincte. Mon processus est réfléchi et méthodique. La plupart du temps, l’œuvre finale correspond assez précisément à l’idée de départ. L’esthétisation, par contre, se produit de manière plus intuitive.
EL: Vos œuvres sont construites avec, en leur coeur, des processus mentaux d’association, d’inversion et de répétition, rappelant notamment le travail des surréalistes qui prônaient la libre expression de la psyché dans leur travail. Est-ce une vision à laquelle vous adhérez?
CC: J’aime beaucoup le surréalisme. C’est vrai que mon travail s’y apparente. Je m’intéresse particulièrement à l’acte créatif en lui-même, un peu comme le surréaliste s’intéresse au fonctionnement de la pensée. Aussi, le concept des « poèmes-objets », la collision d’associations et l’étrangeté qui caractérise le mouvement me parlent beaucoup. Ce sont des stratégies que j’utilise constamment et qui m’animent.
« J’ai toujours été attirée par ce que les gens rejettent, ce qu’ils ne jugent plus utile. La plupart du temps, mes projets naissent d’objets trouvés qui m’inspirent un potentiel de transformation. »
D'eau à dos, face à face, 2017, objet domestique, verre, eau, photographies numériques (impression sur acétate)
EL: Votre pratique est très liée au corps et à l’espace domestique. Pourquoi ces thématiques vous intéressent-elles particulièrement?
CC: Parce que je vis dans mon corps, au quotidien, dans un espace domestique.
EL: À l’instar de plusieurs générations de femmes artistes, vous utilisez votre propre corps dans vos œuvres. Est-ce que l’aspect personnel, voire intime, de cette approche influence votre travail — votre rapport à votre corps, votre compréhension et votre contact avec l’espace?
CC: J’utilise plutôt mon corps dans l’anonymat. Il représente « un corps de femme ». Le rapport corps-objet-espace revient souvent dans mon travail — c’est mon côté un peu « méta » (Rires).
EL: Il y a un rapport d’objectivation du corps indubitable dans plusieurs de vos œuvres. Sans vouloir tomber dans un discours trop politique ou simpliste, croyez-vous que cette métaphore fait référence à votre expérience en tant que femme?
CC: Oui, c’est une façon de témoigner d’expériences personnelles, mais aussi de critiquer la représentation du corps féminin en général.
« J’utilise mon corps dans l’anonymat. Il représente « un corps de femme ». Le rapport corps-objet-espace revient souvent dans mon travail — c’est mon côté un peu méta (Rires). »
Ton sur ton, autoportrait
EL: Vous utilisez beaucoup la photographie dans votre corpus artistique. De quelle manière concevez-vous l’intégration de l’image photographique dans votre travail? S’agit-il simplement d’un moyen d’archiver vos projets ou bien la capture d’images s’inscrit au sein de votre processus créatif?
CC: La photographie est la partie plus expérimentale de ma pratique. La documentation est très importante pour moi. J’essaie toujours de voir comment elle peut ajouter un contexte ou élargir le propos d’une œuvre. C’est souvent à ce moment que j’intègre mon corps. Parfois, c’est la photo qui devient l’œuvre et l’objet avec lequel j’interagis, un dispositif.
EL: Pour la série Slow Sculptures, vous utilisez Instagram afin de partager les images de chacune des œuvres. Croyez-vous que ce médium change votre rapport à vos créations? Abordez-vous vos œuvres différemment pour le contexte de diffusion numérique?
CC: Slow Sculptures est un peu différent de mes autres projets. J’avais envie de faire une série plus spontanée. Des petits objets faits de résidus et d’objets glanés principalement inspirés par la forme et la matière. Ce projet a un effet très libérateur au sein de ma pratique. C’est pourquoi j’avais envie d’avoir un espace tiers: Instagram. Je vois un peu Instagram comme une grande étagère à idées. Cette étagère constitue donc ma vitrine pour les Slow Sculptures.
Récemment diplômée du baccalauréat en arts visuels et sculpture de l’Université Concordia, le travail de Clara Cousineau a notamment été présenté à la galerie Justina M. Barnicke (Toronto), à la galerie Art Mûr (Montréal) et à la galerie FOFA (Montréal).
Elle fait présentement partie du corpus artistique présenté à Artch (Square Dorchester, Montréal — du 12 au 15 septembre 2019) et à Objects in an Embassy (1305, avenue des Pins Ouest, Montréal — du 29 août au 19 septembre 2019).